Dans cette interview, je reçois Édouard Parinet, propriétaire du Château du Moulin-à-vent à Romanèche-Thorrins, un domaine emblématique de l’appellation Moulin-à-Vent. Édouard et sa famille ont acquis le château en 2009. Depuis, elle acheté en 2012 le domaine de la Tour du Bief en Moulin-à-vent également et en 2016 le domaine du Roc des Boutires en Pouilly-Fuissé (et Mâcon Solutré de manière plus confidentielle).
Nous abordons ensemble les épreuves que peut rencontrer un domaine en Beaujolais, les spécificités du cru de Moulin-à-vent. On abordera la philosophie de cette famille qui met la patience au service de la qualité du vin. On parle de vin, de la grêle et du beau temps, mais aussi de transmission et des solution qui permettent à un vigneron de jouer dans la cour des grands, celle de l’international.
Vous avez un très beau panel d’appellations nord Beaujolais / sud Bourgogne. L’appellation Moulin à Vent s’appuie fortement influencé d’ailleurs par l’approche bourguignonne. Quel type de méthode appliquez-vous sur ces trois domaine?
Alors les équipes se répartissent entre les 3 domaines, donc la qualité du travail à la vigne et au chais est la même. Il s’agit simplement de s’adapter aux contraintes et caractéristiques des cépages et des sols.
Sur Pouilly Fuissé des argilo-calcaires avec du 100% chardonnay contre des sables granitiques avec 100% gamay en Moulin-à-Vent. On a forcément des traitements de faveurs un peu différents.
En 2021, c’est la première année où notre viticulture est 100% bio. Donc on essaie de soigner nos vignes, de faire respirer les sols, faire en sorte que les ceps se sentent bien et s’épanouissent.
On essaie aussi de trouver des rendements décents. Après 10 années de travail en Moulin-à-Vent, on a des rendements très en deçà des maximums autorisés par l’appellation. La limite est de 52hL par hectares, nous on se situe plus autour de 35hL en moyenne.
On garde aussi la tradition beaujolaise, donc une taille en gobelet. Chez nous les vignes sont palissées, donc le gobelet est conduit en éventail pour faire passer les branches des vignes dans le palissage. Mais fondamentalement, on reste sur des gobelets en forte densité, entre 9000 et 12000 pieds par hectare. Cette forte densité est voulue parce que le gamay produit des baies de qualité quand il est mis en concurrence.
Et ensuite un travail le plus qualitatif possible, qui prend du temps. Là en 2021, entre le gel et la pression du mildiou, on a dû faire plus d’une dizaine de passage dans les vignes. C’est une quantité de travail vraiment conséquente (30ha de surface sur Moulin-à-Vent).
Et en Pouilly Fuissé, c’est le même genre de travail, à peu près les même densités de plantation, mais en chardonnay. Donc c’est pas tout à fait la même conduite, même à 15km de Moulin-à-Vent.
On connaît une année très compliqué au niveau des conditions climatiques. Pour certaines régions, on peut même étendre au 4 dernières années (sauf 2018). Comment ça s’est passé chez vous?
D’une appellation à une autre, les conditions peuvent être très changeantes. Un vigneron de Fleury, juste 3km au sud de Moulin-à-Vent pourra vous dire que 2017 est un millésime magnifique. Pour nous ça a été très compliqué à cause de la grêle. Donc c’est vraiment très local et c’est dur de savoir où les événements climatiques ont sévit.
De notre côté à Moulin-à-Vent, si on reprend les six derniers millésimes, on va avoir 2016, 2018 et 2020 qui sont des millésimes très qualitatifs et plutôt généreux avec des rendements aux alentours de 35hectt par hectare. Et 2017, 2019 et donc 2021 qui sont très compliqués, soit à cause du gel, soit à cause de la grêle, soit à cause du mildiou, voire même une association des trois. Donc ces derniers millésimes, on est sur du 50/50.
Pour répondre à ça, vous avez un œnologue et maître de chai qui s’occupe des 3 domaines. C’est assez inhabituel par rapport au schéma classique de l’œnologue « consultant », non?
Oui, effectivement, c’est Brice Laffond qui s’occupe à la fois des vignes et du vin pour les trois domaines. En fait dans l’équipe on est dix personnes et on se répartit en fonction des lieux et des différentes appellations. Brice nous a rejoint en 2013 et a la responsabilité de superviser toute cette équipe et de mener le raisin jusqu’à son bout.
On parlait des profils des vins, j’ai eu l’occasion de goûter le Château du Moulin-à-Vent sur le millésime 2016 et je me souviens avoir été assez bluffé. Le Beaujolais dans sa globalité souffre encore de cette image pas très positive des années 90 où le publique le considérait comme producteur de vin à gros volume et bas de gamme. Sur cette quille, j’avais trouvé une trame, des tannins structurés sans être agressifs. Le genre de vin qui pourrait complètement accompagner des viandes rouges en grillades.
Moulin-à-Vent, c’est une appellation très particulière dans la région, on l’appelle seigneur des crus. Elle bénéficie d’un environnement très spécifique, très venteux, des sols très sablonneux, granitique, riches en oxydes de fer et en silice.
Tout cet environnement créé des conditions de développement pour la vigne qui sont stressantes, contraignantes. Et le gamay, plus encore les vignobles anciens comme le notre, donne des rendements relativement faibles et des raisins qui – si on exagère un peu – ressemblent presque plus à des myrtilles qu’à des raisins. Donc quand on vinifie ces petites baies bien concentrées et qu’on élève le vin, on garde cette marque très particulière qu’on a à Moulin-à-Vent.
Ensuite c’est comme dans toutes les appellations, le millésime a une importance immense. Donc d’un millésime léger à un plus solaire, on aura des profils très différents. Par exemple entre le 2017 et 2018, c’est flagrant. Le 2017 qui est prêt à boire et qui pourra se garder 5-10 ans maximum alors que le 2018 – même s’il peut aussi être bu maintenant, c’est du gamay – aura un potentiel de 15-20 ans facile.
Mais il est vrai que Moulin-à-Vent c’est particulier. On ce côté fruité, de l’acidité, de la fraîcheur puisqu’on a la chance de travailler avec ce merveilleux cépage qu’est le gamay. Mais on a aussi de la structure, de la complexité, du volume lorsque le millésime le permet.
Le 2016, c’est un très beau millésime, assez classique chez nous avec un côté presque un peu rhôdanien avec des notes très poivrées, très épicées, un côté un peu orange sanguine. C’est des vins qui sont dans leur « adolescence » actuellement et qui ont ce côté gouleyant typique du gamay. Mais avec une belle structure également qui leur donne un bon potentiel d’évolution.
Je voudrais revenir sur les difficultés qui se posent en 2021 pour un domaine comme le vôtre. On a un millésime difficile mais aussi la crise sanitaire qui a touché le secteur viticole à cause de la relation avec celui de la restauration. À quel point cet aspect là de la crise vous a touché?
Nous on est autant présent en restauration que chez les cavistes. Depuis la crise COVID, la restauration a majoritairement fermé ou en tout cas été en berne. Dans le même temps et inversement, les détaillants ont eu une demande très forte. Donc pour nous ça c’est plutôt compensé, voire même un peu mieux.
Après on a aussi la caractéristique d’être pas mal présent à l’international. On a 50% de nos vins vendus en France et 50% qui partent à l’export. Ca permet d’avoir des marchés diversifiés ; quand le COVID touchait particulièrement les USA, l’Europe reprend du poil de la bête et quand l’Europe fermait, c’était l’Australie ou les marchés asiatiques qui relançaient.
Ça nous a permis d’avoir une activité régulière, même dans les moments où le Covid était le plus impactant. C’est sûr que ça a changé les choses : on a moins travaillé avec certains distributeurs et plus avec d’autres.
Ce développement de l’export, vous l’avez abordé comment, depuis la reprise du château?
En fait, dès le début on a simplement cherché à vendre les vins. Quand on a repris le domaine en 2009, les anciens propriétaires vendaient l’intégralité des vins en vrac. Donc la marque « Château du Moulin-à-Vent » n’existait pas en tant que telle et le réseau de distribution était inexistant.
Dans ces conditions, forcément, quand on a repris le domaine, on a eu à cœur de développer ce réseau. On a essayé de s’ouvrir le maximum de canaux pour avoir la plus grande variété de client pour partager les risques. C’est cette volonté de présence globale qui a entraîné ce développement international.
Et en terme des moyens mis en place, comment avez-vous mis en place ces canaux de vente extérieur? Et combien de temps ça a pris de développer cette logistique d’exportation et arriver à ce 50/50 sur l’export?
On a 30ha, ça peut paraître important, mais ça reste petit à l’échelle du monde. Du coup on cherche a travailler au plus proche des consommateurs. Évidemment on ne peut pas vendre les vins nous même aux USA, au Royaume-Uni ou en Belgique. À l’export on travaille donc avec un importateur qui achète un peu de notre stock et le revend lui-même. Et en France on travaille avec des agents commerciaux donc des gens qui représentent plusieurs domaines. Ils visitent les restaurants et cavistes chez qui ils pensent que notre vin a sa place.
Pour le temps de mise en place, c’est vrai que c’est assez long à mettre en place. Alors ça prend pas 10 ans du moment où on rencontre la personne et celui où on vend le vin , heureusement. Mais il faut se faire connaître, se déplacer, aller sur les salons professionnels. Le milieu du vin c’est un petit monde mais dans lequel il faut sortir pour faire connaître son vin. On va parler de son terroir, recevoir les gens au domaine et faire goûter pour que les choses se mettent en place.
Pour donner l’exemple précis des USA, entre le moment où on a rencontré notre importateur et le moment où on a commencé à leur vendre du vin, il s’est passé 2 ans. C’est un travail de communication conséquent. Et dans une région comme le Beaujolais, il y a dix ans, c’était difficile ; heureusement les millésimes 2009/2011 ont rendu la chose plus facile. Il faut comprendre que quand un importateur choisi un domaine, il va prendre un risque. Il a forcément besoin d’une certaine assurance de pouvoir vendre le vin. Pour ça il faut pouvoir faire goûter le vin, idéalement avoir quelques millésimes pour se rendre compte de son évolution. C’est forcément plus difficile quand on avait un seul millésime quand on a repris le château. Aujourd’hui qu’on en a treize derrière nous, c’est forcément plus simple.
Il faut se rendre compte aussi du lieu, parce qu’à l’international peu de gens connaissent Moulin-à-Vent, voire même le Beaujolais. Il faut se rendre compte de la qualité des terroirs, de l’histoire. C’est un beau symbole de la qualité de ce qui est fait au château du Moulin-à-Vent depuis trois cents ans. Tout ça prend du temps et ça fait partie du monde du vin.
Chaque bouteille de vin met deux ou trois ans entre le moment où on cultive la vigne et le moment où on la met en bouteille, donc on est sur des cycles lents de production, de commercialisation. L’avantage derrière c’est que quand on travaille avec quelqu’un et que ça se passe bien , c’est durable. En tout cas c’est notre philosophie de travail. On ne cherche pas à faire des opérations flash. notre but, c’est la fidélité, la durabilité, dans notre exploitation comme dans notre commercialisation. On cherche des partenaires qui savent et veulent défendre le Château du Moulin-à-Vent et les grands terroirs du Beaujolais.
Nous dès le départ on a essayé d’être un peu partout. On aurait peut-être dû se concentrer sur l’un ou l’autre, le marché français ou international. Mais aujourd’hui il faut être présent partout. On communique avec les partenaires professionnels pour qu’ils sachent quel millésime est disponible, avec nos clients particuliers pour qu’ils soient au courant d’une porte ouverte au château, etc.
La communication est importante mais ce qu’on fait c’est avant tout de la vigne. Si on a plus de dix personnes sur le terrain, c’est parce qu’on pense que la base c’est vraiment de faire des beaux raisins, faire des bons vins et les faires goûter aux professionnels et aux amateurs.
Vous avez une présence assez régulière sur les réseaux sociaux, on a des photos, des vidéos de la vie du raisin, la vie du domaine et des personnes qui le composent. On peut aussi voir les designs des bouteilles, des cartes des parcelles… On sent vraiment une proximité avec les personnes qui peuvent vous suivre. Vous avez une personnes qui s’occupe de ça spécifiquement ?
Non, on fait tous un peu ça. J’ai une collègue qui s’occupe des relations presse, un peu du marketing. Moi aussi je m’en occupe aussi. Brice nous alimente aussi en photos quand il voit des choses intéressantes dans la vigne. C’est vraiment un effort commun.
La communication, je pense qu’il faut qu’elle donne envie, qu’elle soit qualitative, inspirante et idéalement qu’elle soit utile. Communiquer sur la façon de vinifier, la façon d’élever, où en est le raisin, on se dit que ça peut être utile, esthétique et que ça donne envie de boire du vin. Si c’est la cas, c’est mission accomplie pour nous.
Pour ce qui est des visites, je me doute que la crise sanitaire a perturbé les choses. Est-ce que vous pouvez recevoir à nouveau dans de bonnes conditions ?
On peut recevoir sans problème actuellement. On a une salle de dégustation au sein du domaine où on peut recevoir nos clients. Cet été, sans dire que c’était une saison normale en terme de fréquentation, on en était pas loin. Donc les choses reprennent peu à peu leur forme d’avant Covid.
Pour terminer, à l’heure où on enregistre cette conversation on est début septembre 2021, où est-ce que vous en êtes pour les vendanges de cette année?
Ca va être notre premier millésime 100% bio au Château du Moulin-à-Vent, donc c’est aussi beaucoup de boulot de la part de Brice et de son équipe. En plus on est aussi des gros trieurs, donc on est souvent au moins six, voire jusqu’à dix à la table de tri. Donc il va encore y avoir je pense pas mal de déchets à ce niveau là. On pense faire une moitié de récolte pour 2021, soit une quinzaine d’hectolitre par hectare.
Mais on espère avec ce tri garder le meilleur et que les 2021 seront au niveau de l’appellation.
Conclusion
Merci encore Édouard. Je rappelle une dernière fois que vous être propriétaire du Château du Moulin-à-Vent à Romanèche-Thorins dans le Beaujolais. On peut trouver le site du Château : http://www.chateaudumoulinavent.com avec toutes les infos pour visiter le domaine ou commander des bouteilles. On peut également vous retrouver sur Facebook, Instagram, LinkedIn et Twitter.
Super article! C’est une très bonne idée d’avoir retranscrit l’interview en texte aussi :). Bon courage au chateau pour leur 1er millésime bio!